Paiements interentreprises : une question de survie

2008. Une crise majeure, issue des prêts hypothécaires à risque, secoue les États-Unis puis le monde. La défiance entre les banques aggrave considérablement le phénomène, entraînant une crise de liquidité et une augmentation du taux interbancaire. En 2020, avons-nous tiré les leçons de ce précédent ? L’histoire ne se répète pas, mais elle bégaie : aujourd’hui, c’est encore un défaut de confiance qui menace notre économie. Alors que divers experts ont prédit une vague de faillites, les entreprises ont des raisons objectives d’avoir peur les unes des autres. Le donneur d’ordre va-t-il s’acquitter de sa facture ? Le fournisseur a-t-il les reins assez solides pour honorer sa commande ? C’est le crédit inter-entreprises qui est en jeu, les paiements et, par extension, tous nos systèmes de production.

Business must go on

Alors que le premier confinement avait laissé un certain nombre d’entreprises dans un état de semi-torpeur, tout est fait aujourd’hui (au moins dans le discours) pour que l’activité économique se poursuive. De fait, tout est préférable à la léthargie, même une initiative infructueuse. Pour le professeur Philippe Silberzahn, l’urgence est à l’action, ne serait-ce que pour nourrir la compréhension de la situation. « Il n’y a qu’en essayant d’organiser une livraison qu’on va savoir si les livraisons marchent vraiment ! ». Forts de cette compréhension, les dirigeants peuvent ensuite mobiliser les ressources – matérielles, financières, humaines – dont ils disposent pour adapter leur activité au contexte de leur marché.

Des secteurs particulièrement affectés n’ont pas attendu le deuxième confinement pour appliquer ces principes. Dès le mois d’août, le groupe Accor a mis à disposition des chambres pour les télétravailleurs dans 320 hôtels d’Europe du Nord. Dans le secteur du textile, les acteurs traditionnels ont opéré une mue profonde de leur business model en se tournant vers le e-commerce et en investissant dans la mode responsable. Reste qu’avec la meilleure volonté du monde, les sociétés à court de trésorerie ne peuvent pas aller bien loin. Et le marché de la mode, bien que volontaire, subit ce qu’il faut bien appeler une hécatombe faute de liquidités. Déjà en difficulté auparavant, un certain nombre d’entreprises du secteur ont essuyé un refus à leur demande de prêt rebond. « Bercy a fait le choix de l’industrie, en soutenant Renault, Air France, l’aéronautique. Pas celui du commerce. Cette absence de soutien nous achève », a récemment dénoncé Yohann Petiot, directeur général de la fédération Alliance du commerce.

De fait, les aides financières existantes, bien que nécessaires, ne suffiront pas si les entreprises ne trouvent pas par ailleurs des relais de résilience. Des relais à construire en bonne intelligence, au sein même de leur écosystème.

Survie économique : chaînes de dépendance et solidarité systémique

Durant la pandémie, notre confiance a été éprouvée à tous les étages. Ainsi que le rappelle le philosophe Mark Hunyadi, « l’événement a révélé, par la négative, combien la confiance était, en temps normal, constitutive de notre relation au monde ». La sphère économique ne fonctionne pas autrement. Depuis l’entrée dans « l’industrie 4.0 », la « compétitivité relationnelle »¹ n’a jamais été aussi déterminante. Beaucoup le reconnaissent : le fait d’entretenir avec ses clients et ses partenaires des relations satisfaisantes est une des composantes clés de la chaîne de création de valeur. Mais aujourd’hui, avant même de parler de création de valeur, c’est de survie dont il est question.

En effet, les entreprises d’une même filière sont intimement dépendantes les unes des autres. Un équipementier automobile a besoin de fournisseurs (souvent peu remplaçables) pour produire les sous-ensembles de ses voitures, et de concessionnaires pour les vendre. Que l’un fasse défaut, et c’est l’ensemble qui menace de s’écrouler. Les sociétés ont donc tout intérêt à jouer le jeu de la confiance, c’est-à-dire payer assez rapidement leurs partenaires, et ne pas faire d’obstruction à l’octroi de crédit. Comme le faisait valoir Pierre Pelouzet : « Un patron de PME ne se remettra à embaucher, à investir, à innover que s’il a l’intime conviction que ses grands clients et ses grands fournisseurs, joueront le jeu de la solidarité avec lui. »² Or, les délais de paiement sont encore trop longs et trop hasardeux. Ils mettent en péril les entreprises en peine de trésorerie, et, à plus long terme, l’ensemble de leurs filières.

Bien sûr, la confiance ne se décrète pas, mais elle peut s’organiser, notamment autour de la technologie. Prenons un exemple : si les organisations sont mal équipées pour valider rapidement les factures –et c’est souvent le cas des TPE/PME -, il existe des solutions qui permettent un traitement et un paiement accéléré. Ces outils ne porteront pas à eux-seuls la reprise, mais ils contribueront à assainir les relations entre les organisations. Peu de grandes entreprises ont déjà déployé ce type de solution pour sécuriser leur écosystème de fournisseurs. Il s’agit certes de solidarité bien ordonnée, mais n’oublions pas qu’à la fin de la crise, les donneurs d’ordres auront des comptes à rendre. Sortiront grandis (et gagnants) ceux qui, in fine, auront fait le choix du long terme et d’une responsabilité intelligemment solidaire.

¹ Dorothée Kohler & Jean-Daniel Weisz :  https://www.challenges.fr/entreprise/le-cri-d-alarme-du-mediateur-des-entreprises-sur-les-derapages-incontroles-des-delais-de-paiement_707338
² https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-delais-de-paiement-il-est-urgent-de-restaurer-la-confiance-1270287

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